mercredi 5 février 2014

Analyse des Droits et Libertés Consacrés au Sein de la Nouvelle Constitution Tunisienne

La Tunisie s’est donc dotée d’une nouvelle constitution au terme d’un processus qui a duré un peu moins de 3 ans, ainsi, tard dans la soirée du 26 Janvier 2014, les députés de l’Assemblée Nationale Constituante ont adopté à une majorité écrasante de 200 voix sur un total de 216 députés. La deuxième République venait à cet instant de voir le jour.

Cette constitution, très dense de part son contenu et par son nombre d’article (144 articles au total) se compose de 8 grandes parties : (les principes généraux, les droits et libertés, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, les instances constitutionnelles, le pouvoir local et enfin la révision de la constitution)

Nous avons choisi d’analyser principalement  le chapitre relatif aux droits et libertés, en réalité ;  ce choix n’était pas fortuit, ainsi faut il rappeler que l’un des principaux slogans scandés au cours de la révolution du Jasmin fut : travail, dignité, liberté et que ces trois valeurs font partie des droits de première et deuxième génération.

D’autre part, la victoire des islamistes lors des élections de l’assemblée nationale constituante a fait craindre un recul au niveau du statut de la femme au sein de la société ainsi qu’au niveau du  caractère civil de l’Etat.
Pour toutes ces raisons, il convenait de se focaliser sur l’analyse de ce chapitre  ô combien important pour les citoyens tunisiens.  

Une constitution révolutionnaire à bien des aspects

De part son article 6 qui instaure la liberté de conscience, cette constitution est révolutionnaire. Ainsi, la liberté de conscience implique le droit d’avoir une religion, de changer de religion et d’abandonner une religion. Aucun autre pays arabo musulman n’a osé consacrer cette liberté dans sa constitution. En effet, le fait de « quitter » la religion musulmane constitue un crime passible de la peine capitale dans bien des pays à l’instar de l’Arabie Saoudite, le Pakistan ou l’Afghanistan.
La constitutionnalisation de la liberté de conscience marque « une rupture très profonde avec la tradition » déclare le juriste Iyadh Ben Achour qui ajoute dans un entretien publié sur le journal le Monde. « On commence à dissocier les choses. La religion devient une question de for intérieur. Le crime d’apostasie n’a plus droit d’être cité ».
Autre aspect révolutionnaire, l’affirmation du caractère « civil » de l’Etat dans l’article 2 qui dispose : « La Tunisie est un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit »
Théoriquement donc, il ne peut y avoir donc de place pour un Etat théocratique en Tunisie.
La lecture combinée de ces deux articles conduira t elle à l’instauration de la laïcité comme principe de la république tunisienne ? Seul l’avenir nous le dira.
Les droits de la femme ont également occupé une place prépondérante dans cette constitution : ainsi, l’article 46 dispose que l’Etat s’engage à protéger et à renforcer les acquis de la femme. L’Etat s’engage par ailleurs à prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer les violences faites aux femmes et garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme quant à l’accès aux différents postes de responsabilité. En outre, l’objectif de parité dans la composition des futures instances élues est consacré dans la constitution.
Enfin, le dernier aspect révolutionnaire consiste dans le fait que l’article 49 instaure une garantie fondamentale en matière de droits et libertés en affirmant qu’ « aucun amendement ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits humains et de libertés garantis par cette constitution ». 
Des avancées certaines au niveau de la consécration du droit… du citoyen et de la citoyenne

Le chapitre relatif aux droits et libertés débute avec un article (Article 21) qui énonce un principe général : «  les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. L’Etat garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les conditions d’une vie digne. » Cela étant, nous aurions aimé que le principe de l’égalité s’étende  à tous les êtres humains résidents en Tunisie  et ne concernent pas uniquement les citoyens tunisiens.
Par ailleurs, l’Etat s’engage à protéger la dignité et l’intégrité de la personne humaine et à interdire toute forme de torture physique et morale (Article 23). La protection des données privées est également consacrée (Article 24)  au même titre que la liberté de circulation et d’établissement, de rassemblement et de manifestation pacifique.

Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont également garanties. Il est à noter que ces dernières libertés ne sauraient être soumises à un contrôle préalable selon la constitution.
En outre, la plupart des droits civils, politiques et sociaux économiques ont été consacré au sein de cette constitution (le droit syndical, le droit à l’information, le droit de vote et de se porter candidat, le droit  de constituer des partis politiques et des associations, le droit de propriété, le droit à la santé, au travail, à la culture et au sport …) au même titre que le droit à l’eau et à un environnement sain qui font partie de ce qu’on appelle communément droits de la troisième génération.

Une référence au sacré qui inquiète…

L’article 6 tout en consacrant la liberté de conscience et croyance indique que l’Etat s’engage à protéger les « sacrés » et à interdire toute atteinte à ceux-ci. La question qui se pose donc a trait à la définition du sacré, qu’est ce que le sacré ? Qui peut le définir ? Et qui peut juger qu’une œuvre a porté atteinte au sacré ? Ne risque t on pas à partir de cet article de tomber sous le joug d’une dictature religieuse ? La notion de sacré ne se contredit elle pas avec la liberté de conscience ?  il nous semble urgent d’amender au plus vite cet article afin de consacrer de manière définitive le caractère civil de l’Etat.

Une constitutionnalisation de la peine de mort qui fait tache


En dépit de toutes les avancées consacrées, les députés n’ont pas osé abolir la peine capitale dans la constitution. Pire même, la peine de mort a désormais une valeur constitutionnelle, ainsi l’article 22 dispose que  Le droit à la vie est sacré et qu’aucune atteinte ne saurait être portée à ce droit sauf dans des cas extrêmes fixés par la loi. Manifestement, cette constitutionnalisation de la peine de mort fait tache dans le corps de la constitution. 

Nessim Bengharbia