La Tunisie s’est donc dotée d’une nouvelle
constitution au terme d’un processus qui a duré un peu moins de 3 ans, ainsi,
tard dans la soirée du 26 Janvier 2014, les députés de l’Assemblée Nationale Constituante
ont adopté à une majorité écrasante de 200 voix sur un total de 216 députés. La
deuxième République venait à cet instant de voir le jour.
Cette constitution, très dense de part son
contenu et par son nombre d’article (144 articles au total) se compose de 8
grandes parties : (les principes généraux, les droits et libertés, le
pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, les instances
constitutionnelles, le pouvoir local et enfin la révision de la constitution)
Nous avons choisi d’analyser principalement le chapitre relatif aux droits et libertés, en
réalité ; ce choix n’était pas
fortuit, ainsi faut il rappeler que l’un des principaux slogans scandés au
cours de la révolution du Jasmin fut : travail, dignité, liberté et que
ces trois valeurs font partie des droits de première et deuxième génération.
D’autre part, la victoire des islamistes lors
des élections de l’assemblée nationale constituante a fait craindre un recul au
niveau du statut de la femme au sein de la société ainsi qu’au niveau du caractère civil de l’Etat.
Pour toutes ces raisons, il convenait de se
focaliser sur l’analyse de ce chapitre ô combien important pour les citoyens tunisiens.
Une
constitution révolutionnaire à bien des aspects
De part son article 6 qui instaure la liberté
de conscience, cette constitution est révolutionnaire. Ainsi, la liberté de
conscience implique le droit d’avoir une religion, de changer de religion et
d’abandonner une religion. Aucun autre pays arabo musulman n’a osé consacrer
cette liberté dans sa constitution. En effet, le fait de « quitter »
la religion musulmane constitue un crime passible de la peine capitale dans
bien des pays à l’instar de l’Arabie Saoudite, le Pakistan ou l’Afghanistan.
La
constitutionnalisation de la liberté de conscience marque « une rupture très profonde avec la tradition » déclare le
juriste Iyadh Ben Achour qui ajoute dans un entretien publié sur le journal le
Monde. « On commence à dissocier
les choses. La religion devient une question de for intérieur. Le crime d’apostasie
n’a plus droit d’être cité ».
Autre aspect
révolutionnaire, l’affirmation du caractère « civil » de l’Etat dans
l’article 2 qui dispose : « La Tunisie est un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la
volonté du peuple et la primauté du droit »
Théoriquement donc, il ne peut y avoir donc de
place pour un Etat théocratique en Tunisie.
La lecture combinée de ces deux articles
conduira t elle à l’instauration de la laïcité comme principe de la république
tunisienne ? Seul l’avenir nous le dira.
Les
droits de la femme ont également occupé une place prépondérante dans cette
constitution : ainsi, l’article 46 dispose que l’Etat s’engage à protéger et
à renforcer les acquis de la femme. L’Etat s’engage par ailleurs
à prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer les
violences faites aux femmes et garantit l’égalité des chances entre la femme et
l’homme quant à l’accès aux différents postes de responsabilité. En outre, l’objectif de parité dans la
composition des futures instances élues est consacré dans la constitution.
Enfin, le dernier
aspect révolutionnaire consiste dans le fait que l’article 49 instaure une
garantie fondamentale en matière de droits et libertés en affirmant qu’ « aucun amendement ne peut porter atteinte aux
acquis en matière de droits humains et de libertés garantis par cette
constitution ».
Des
avancées certaines au niveau de la consécration du droit… du citoyen et de la
citoyenne
Le chapitre relatif aux droits et libertés
débute avec un article (Article 21) qui énonce un principe général : «
les citoyens et les citoyennes sont égaux
en droits et en devoirs. L’Etat garantit aux citoyens les libertés et les
droits individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les conditions d’une
vie digne. » Cela étant, nous aurions aimé que le principe de
l’égalité s’étende à tous les êtres
humains résidents en Tunisie et ne
concernent pas uniquement les citoyens tunisiens.
Par ailleurs, l’Etat s’engage à protéger la
dignité et l’intégrité de la personne humaine et à interdire toute forme de
torture physique et morale (Article 23). La protection des données privées est
également consacrée (Article 24) au même
titre que la liberté de circulation et d’établissement, de rassemblement et de
manifestation pacifique.
Les
libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication
sont également garanties. Il est à noter que ces dernières libertés ne
sauraient être soumises à un contrôle préalable selon la constitution.
En outre, la plupart des droits civils,
politiques et sociaux économiques ont été consacré au sein de cette
constitution (le droit syndical, le droit à l’information, le droit de vote et
de se porter candidat, le droit de
constituer des partis politiques et des associations, le droit de propriété, le
droit à la santé, au travail, à la culture et au sport …) au même titre que le
droit à l’eau et à un environnement sain qui font partie de ce qu’on appelle
communément droits de la troisième génération.
Une
référence au sacré qui inquiète…
L’article 6 tout en consacrant la liberté de
conscience et croyance indique que l’Etat s’engage à protéger les
« sacrés » et à interdire toute atteinte à ceux-ci. La question qui
se pose donc a trait à la définition du sacré, qu’est ce que le sacré ?
Qui peut le définir ? Et qui peut juger qu’une œuvre a porté atteinte au
sacré ? Ne risque t on pas à partir de cet article de tomber sous le joug
d’une dictature religieuse ? La notion de sacré ne se contredit elle pas
avec la liberté de conscience ? il
nous semble urgent d’amender au plus vite cet article afin de consacrer de
manière définitive le caractère civil de l’Etat.
Une
constitutionnalisation de la peine de mort qui fait tache
En dépit de toutes les avancées consacrées,
les députés n’ont pas osé abolir la peine capitale dans la constitution. Pire
même, la peine de mort a désormais une valeur constitutionnelle, ainsi
l’article 22 dispose que Le droit à la
vie est sacré et qu’aucune atteinte ne saurait être portée à ce droit sauf dans
des cas extrêmes fixés par la loi. Manifestement, cette constitutionnalisation
de la peine de mort fait tache dans le corps de la constitution.